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Et les castrats ?

Source : France Musique (au lien suivant >)

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Grandeur et décadence. Caprices de stars et rôles sur-mesure. Au XVIIIe siècle, l’Europe s’emballe pour le “phénomène castrat”.

 

Quel drôle de cas que celui des castrats… Si on ne trouve plus aucun chanteur de la sorte aujourd’hui (et c’est tant mieux), ils ont été célébrés et adulés par le public européen pendant près de deux siècles, inspirant les œuvres de grands compositeurs tels que Monteverdi, Haendel ou encore Rossini.
Retour sur les origines, les heures de gloire et la décadence de la troisième voix, celle des chanteurs castrats.

 

 

​Aux origines du mâle.

 

Un castrat est un chanteur (de sexe masculin) dont la voix n’a pas mué parce que ses glandes génitales ont été ‘castrées’, c’est-à-dire retirées par opération chirurgicale entre l’âge de 7 et 12 ans. Son appareil vocal ne s’est pas développé tandis que le reste de son corps a bien grandi pour atteindre sa taille adulte.
Dans l’
Antiquité, selon certaines croyances ou rituels, certains hommes se privent (eux-mêmes, vraisemblablement) de leurs parties génitales. De l’autre côté du globe, dans la Chine impériale, la castration est aussi bien employée comme punition que stratégie politique. En effet, on considère que les hommes privés de leurs ‘parties’ et qui ne peuvent donc pas féconder sont de parfaits conseillers : dévoués mais sans aucune velléité à prendre le pouvoir.
D’autres cas célèbres de castration sont les eunuques de l’
Empire ottoman, gardiens des harems et sérails. Et ceux-ci ne sont peut-être pas sans rapport avec nos chanteurs castrats superstars de l’époque baroque. En effet, certains supposent que les Européens ont découvert les chants d’eunuques suite à l’invasion musulmane de la péninsule ibérique. Et le premier castrat recensé à la Chapelle Sixtine de Rome, au XVIe siècle, est d’ailleurs d’origine espagnole...



 

 

 

 

 

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Un eunuque devant la porte du harem, Verechtchaguine

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La Castrat Mania

 

Jusqu’au XIXe siècle, les femmes ne sont pas autorisées à chanter dans les églises. Il revient donc aux hommes (enfants ou adultes) d'interpréter les lignes aiguës des partitions religieuses. Certains utilisent leur voix de tête, dite de fausset (on les appelle les falsettistes), tandis que d’autres se soumettent à une solution plus radicale : la castration.
Cependant le recours aux castrats pour la musique d’Eglise ne suffit pas à expliquer l’engouement des XVIIe et XVIIIe siècles pour ces voix. Car c’est sur les scènes d’opéra (et non dans les lieux de culte) que ces interprètes “hors-norme” connaissent leurs plus grandes heures de gloire.


 

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​Orféo et Euridice – Gluck – Andreas Scholl

NB : cet air n’est (évidemment) pas interprété ici par un castrat, mais par un contre-ténor (Andreas Scholl).

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Au 17e et 18e siècle, en Italie tout particulièrement, le public vient à l’opéra pour applaudir des performances vocales, et les compositeurs s’emploient à mettre en valeur les couleurs de la voix, les ornements et les vocalises. Le timbre si particulier des castrats est alors une formidable matière première, un ovni musical à explorer.
De nombreux rôles sont écrits sur-mesure pour les grands castrats de cette époque : le chanteur
Nicolini inspire Haendel pour Rinaldo, le légendaire Farinelli se produit dans plusieurs opéras des Italiens Porpor et Vinci ou de l’Allemand Hasse. Sans compter les œuvres de Monteverdi, Scarlatti, Giacomelli, Vivaldi, et Gluck, pour la plupart interprétées par les castrats super-stars du baroque.

 

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​Ambiguïté sexuelle et mélange des genres.

 

A propos de l’eunuque, Voltaire précise dans son Dictionnaire philosophique (1764) que « la nature n’a point perdu ses droits dans son cœur » et que si on n’a « coupé que les deux accompagnements de l’organe de génération » des gardiens de sérails, il « emploient encore souvent cet organe ».
De la même manière, les castrats ne se privent pas d’avoir des relations, et ce sont mêmes des amants très convoités (par les hommes comme par les femmes, ces dernières appréciant tout particulièrement le caractère 'non risqué' de leurs liaisons).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Farinelli, film de Gérard Corbiau


Les spectateurs raffolent de ces interprètes du troisième sexe, reflétant les mœurs de la noblesse d’alors, qui se réjouit de voir se réaliser sur scène un tel mélange des genres. Les castrats incarnent des rôles tantôt féminins, tantôt masculins, quand leur personnage ne se travestit pas lui-même sur scène, provoquant alors une perturbante confusion des sexualités, sans aucun souci de vraisemblance.

La voix d’un castrat ne ressemble d’ailleurs pas à celle d’une femme. Elle est tout à fait singulière, car le chanteur a conservé son timbre clair et lumineux d’enfant, mais peut projeter et amplifier sa voix avec autant de force qu’un adulte dont la cage thoracique est normalement développée.

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Des cas d’école

 

Si la voix des castrats est virtuose, parfaitement placée et contrôlée, c’est parce qu’après leur (barbare) opération, les petits chanteurs amputés intègrent des écoles spécifiques, à Naples ou Bologne notamment. Toutes leurs années de jeunesse sont employées au travail vocal, à l'apprentissage de la musique et des instruments.
La plus grande majorité de ces 'aspirants castrats' est d'origine modeste, envoyée (de force) par des familles qui espèrent que leur enfant fasse fortune. Le bien connu Farinelli fait cependant exception à la règle car il est issu de la noblesse italienne. Farinelli se distingue également de ses collègues castrats par son immense notoriété et longévité. A la sortie de l’école, la concurrence est rude, et tous les jeunes chanteurs n’embrassent pas une carrière.

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Portrait caricatural du chanteur Caffarelli par Anton Maria Zanetti

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Castrats Divas

 

Au XVIIIe siècle, pour les castrats qui parviennent à se faire un nom, la gloire est absolue. Ils sont grassement rémunérés, acclamés par le public, et s’autorisent alors toutes les exigences ou caprices. On raconte par exemple que Farinelli, venu chanter pour la cour du roi Louis XV, avait été déçu du cadeau qui lui avait été offert : un simple coffre d’or et de diamants…
Or, les excentricités de ces divas vont finir par lasser. Le jeune Mozart, par exemple, s’intéresse dans un premier temps aux voix de castrats - trois rôles de son opéra Mitridate, Re di Ponto leur sont d’ailleurs attribués - mais les caprices et sautes d’humeur le découragent peu à peu. Mozart va ainsi redonner aux voix de femmes leurs lettres de noblesse, préférant les rôles travestis au troisième sexe.

 

 

 

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Les Noces de Figaro, ​​Cherubin : « Voi che sapete » Mozart

NB : Le célèbre rôle de Chérubin, jeune page des Noces de Figaro de Mozart, n'a jamais été interprété par un castrat.

Il est écrit pour une femme mezzo.

 

Au XIXe siècle, Rossini » est parmi les derniers compositeurs à écrire pour un castrat. Mais après son opéra Aureliano in Palmira (1813) et la cantate Il vero omaggio (1822), il se désintéresse lui-aussi de ce type de voix, conservant tout de même une certaine prédilection pour les tessitures d’hommes aigües, puisqu’il mettra principalement à l’honneur des chanteurs ténors dans ses opéras.

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Le dernier des castrats

 

Peu à peu, l’intérêt du public pour les castrats s'amenuise. Leurs difficiles caractères découragent les compositeurs, on l’a vu, en même temps que les goûts évoluent. Les qualités du livret, l’interprétation, les voix de ténors et de sopranos : tous ces laissés pour compte de la « castrat mania » retrouvent enfin la faveur des mélomanes et musiciens.
Déjà dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, des voix s'élèvent contre cette pratique barbare, notamment celle du philosophe et mélomane Jean-Jacques Rousseau. L'opération est peu à peu interdite et, au XIXe siècle, les dernières voix d'ange que l'on peut entendre sont ou de rares exceptions ou des chanteurs d'église. En 1902, le pape Léon XIII interdit une bonne fois pour toute la castration.

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< Alessandro Moreschi, le dernier castrat

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Et maintenant ?

 

Qui interprète aujourd’hui les rôles et airs écrits pour les castrats ? Réponse : presque toutes les voix. Les femmes - dont les trois tessitures, contralto, mezzo et soprano, étaient couvertes par les castrats - peuvent se réapproprier leurs partitions. Et les hommes aussi ! Certains transposent leur partition, les barytons par exemple, tandis que d'autres utilisent leur voix de fausset, les contre-ténors.
Rappelons que les contre-ténors d’aujourd’hui n’ont (évidemment) rien à voir avec les castrats d’antan. Ils travaillent avec leur voix de tête, et sont tout aussi capables de chanter avec leur voix grave (et naturelle) de ténor ou baryton.


 

Bibliographie

 

  • Forum Opéra, dossier proposé par Bernard Schreuders "Les castrats. Le corps du délit ou la beauté qui dérange" : ici

  • Patrick Barbier, Histoire des castrats, Paris, 1989

  • Patrick Barbier, La maison des Italiens. Les castrats à Versailles, Paris, 1998

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